Lorient - Mai 2022.
C’est un fameux Trois mâts, haubane et haut…
Selon l’imagerie populaire du voilier traditionnel il aurait été sympathique d’y aller d’un hisse et ho. Mais qui dit hisse dit drisse. Et si oui il y a toutes sortes de drisses à gréer, ça n’est pas suffisant. La réalité est moins poétique, quoi que…
Pour remâter, et regréer le trois mâts malouin Le Français point de drisse à hisser, il faut une grue, une haute et grosse grue. Et des haubans, des rides, des étais, c’est à dire des câbles et des cordages de grosse section pour le gréement dormant. Puis des écoutes, des balancines, et oui des drisses pour le gréement courant. Parce que Le Français, c’est un mât de misaine et un grand mât portant des vergues et un mât d’artimon, avec corne et bôme. Une mâture pointant au dessus du pont à 30-35 m de hauteur avec des bas-mâts, des mâts de hune, puis les mâts de perroquet et de flèche. Le tout portant 800 m² de voilure, avec des phares carrés sur vergues, des voiles d’artimon en aurique et autres voiles d’axe.
Et tout ça c’est manœuvré par un équipage de 7 marins.
Des professionnels qualifiés spécialisés
Quel que soit leur poste ou qualification, Capitaine, Chef-mécanicien, Bosco, Matelot, ce sont tous avant tout des Gabiers. C’est à dire des matelots de gréement.
Parce qu’il faut plus de cran et de savoir faire technique qu’un officier de la marine marchande ou qu’un matelot de pont pour aller faire “le singe” dans les enfléchures, y gréer, mateloter, manœuvrer.
Bon, oui, certes, en dépit d’un décret de 1866 « portant organisation d’une institution de gabiers brevetés » et qui s’est perdu dans les années 1920-30 avec l’avènement de cette toute petite ère – à l’échelle de l’Histoire de la navigation et de la marine – du tout pétrole, laquelle arrive à son terme, le métier de gabier n’est plus reconnu en France.
Donc l’emploi du terme serait inapproprié voire illégitime direz-vous. Pardon mais non. Pour gréer, conduire et manœuvrer des navires comme Le Français, il faut être un professionnel avec un véritable savoir faire de gabier. Aujourd’hui seule l’expérience de bord compte et fait de ces marins des professionnels spécialisés. Une pratique qui est de fait un apprentissage constant en soi, qui est un savoir faire en ré-appropriation empirique car tout est à réinventer surtout sur un chantier de ré-armement complet.
Une pratique qui ne demanderait qu’à être validée par acquis de ladite expérience à défaut d’avoir bénéficié d’une formation initiale et d’une certification appropriée. Ceci pour conférer à ces marins hauturiers de haute voltige, un statut particulier, une spécialité professionnelle, une reconnaissance, une légitimité. Et surtout la liberté d’être pleinement ce qu’ils sont sans les contraintes et restrictions du système conçu par et pour la marine commerciale industrielle mécanisée.
En obsolescence programmée pour cette dernière et en ré-émergence inéluctable pour la marine à voile traditionnelle, ce qui distingue ces femmes et hommes de cette marine du gigantisme de plus en plus hi-tech, outre la capacité à grimper et manœuvrer dans les mâtures, c’est essentiellement le matelotage. Parce qu’un navire à voile c’est avant tout des encablures de cordages à n’en plus finir qu’il faut fourrer, épisser, surlier, rider, amarrer, nouer, brêler, capeler, tourner et manœuvrer. C’est-à-dire la reproduction de gestes ancestraux. Un système en cordage, tel un palan ou un nœud adapté à une fonction, étant ce qui se fait de plus ancien dans l’histoire des techniques et qui reste le plus efficace. Et surtout qui ne demande aucune autre énergie que celle des marins eux-mêmes, pourvu qu’ils soient bien nourris…
Une maistrance qui fait sens…
Pour relever un tel défi, outre celui de bien nourrir les marins ça c’est le défi du Maître-coq, mais pour relever le défi technique, faire face et solutionner toutes problématiques, impondérables et difficultés en tous genres, et il y en a, avant de pouvoir prendre la mer, il y a l’intervention d’un Maître-gréeur. Soit un technicien spécialisé du gréement traditionnel, détenteur des connaissances générales et capable, en collaboration avec tout un équipage, d’appréhender et de maîtriser les spécificités propres à chaque navire.
C’est le cas de Jeff Wagner, un marin au long cours dont l’expérience en gréement traditionnel dépasse de loin celle de tout officier issu des cursus actuels. Et Jeff Wagner avec son ouvrier-matelot-gréeur Vincent, assistés à distance par Nadège pour la partie administrative, soit la société EVT, c’est plus qu’une supervision et un appui technique, c’est l’assurance qu’en cinq jours, avec des équipiers pro-actifs, une coque nue devienne un fier navire à voile.
De gréeur à maître-gréeur il y a un pas, car au-delà de l’intelligence pratique, et de l’extraordinaire énergie déployée pour faire, il y a l’intention de transmettre aux équipiers en premier lieu son savoir faire, afin qu’ils soient autonomes en mer et en vue de développer et pérenniser ce métier d’à-terre, qui lui non plus n’est pas reconnu officiellement. Et ce malgré son existence spontanée dans les activités de chantier naval et d’arsenal et surtout malgré l’évidente nécessité technique que requiert n’importe quel bateau armé à la voile. A fortiori en gréement traditionnel.
Une collaboration grandissante…
Ainsi, entre Trigorioù et EVT il y a une intention commune de promouvoir et d’œuvrer de manière solidaire à la reconnaissance de ce que serait une filière matelotage inexorablement en devenir. Laquelle filière sur la base d’un tronc commun en matelotage générerait aussi bien des gréeurs que des gabiers.
C’est pourquoi, nous Trigorioù, représenté par Pierre-Yves, à l’occasion de ce chantier exceptionnel et rare, nous avons modestement apporté notre contribution. Nous avons participé, en observant, en recueillant ce savoir faire en acte, en mettant la main à la pâte, ou du moins la main au suif pour commencer. Nous avons bossé – au propre dans le lexique maritime, comme au figuré – réalisé des nœuds de ride par ci, une épissure par là, des amarrages plats sur ride et sur câble, et surtout offert une paire de bras et des mains supplémentaires pour assister le Maître-gréeur et l’équipage dans ces opérations à la fois délicates et intenses.
Expérience…
Respect et admiration pour tous.